Synthèse Cours Justice:Liberté n°1
I) L’individu humain est-il un « animal politique » ?
Nous avons établi dans la 1ère partie :
Que l’individu humain est une partie qui ne se suffit pas à elle-même, son corps est constitué d’organes dont l’activité suppose et renforce le lien social ; son esprit est avide de sens commun, de pensées co-construites, de jugements conjoints par lequel le monde prend vie ; la vie affective explore la richesse des relations à autrui.
Les hypothèses posées d’un état de nature se comprennent dans une démarche philosophique : il est le socle sur lequel ion aimerait pourvoir se fonder pour donner à la loi pleine justification. Si la loi découle de la nature, alors elle serait aisée à suivre, elle serait éprouvée comme adéquate, pensée comme légitime.
La loi politique joue de la confusion entre la loi de la nature et la loi de la société : la première énonce une régularité inévitable dans la matière ou la vie, la seconde une ligne de conduite contingente donnée à un groupe d’individus. Les philosophes de l’état de nature aimerait trouver dans la nature une nécessité aussi forte : l’égalité et la liberté naturelle pour Rousseau devrait dicter la forme de la loi, ou la rivalité naturelle selon Hobbes, comme par ex la matière induit la pesanteur nécessairement. Il est manifeste qu’il en va autrement. La notion même de nature étant un enjeu de la réflexion, une idée qui porte à discussion. L’idée de nature est l’objet d’un travail culturel aboutissant à des représentations multiples.
L’idée d’Aristote est plus convaincante : la nature est la force qui se réalise par un processus continu dans un contexte favorable. La parole, l’entraide, l’amitié, la connaissance, se réalisent parce qu’elles sont portées par une force naturelle qui les pousse à exister et à se développer. Leur caractère naturel est attesté par leur universalité, l’évidence de leur déploiement quand elles ne sont pas empêchées, activement (par la barbarie) ou passivement (par l’ignorance ou le désintérêt de soi). Cependant l’idée de nature reste dangereuse chez Aristote : ce qui est résulte d’un développement qui n’a pas manqué d’être, une fois mis de côté les obstacles nommés, de ce fait l’ordre social actuel (soumission des femmes et des esclaves) serait justifié.
Nous sommes donc parvenus à comprendre la valeur de la thèse de Zambrano : un être lacunaire aspire à vivre en société, il y trouve ce qui lui manque et la force, l’intelligence, de devenir autre. Il y devient un humain de forme contingente mais désireux de nourrir ses désirs de nouveaux objets, ou de les transformer en créant des nouvelles sources de sens, de tranquillité et de beauté. Le monde des hommes dépasse la nature qui loin de le satisfaire l’effraie.
Mais tout cela nous laisse désemparés du point de vue de la justice : qu’est-ce qui fonde légitimement les lois émises par le pouvoir politique ? La question est d’autant plus cruciale maintenant que nous avons éprouvé la nécessité de penser l’homme dans un cadre social.
Semaine du 7 au 11 octobre :
- L’État est-il le garant de la justice ?
Pourquoi poser la question de cette façon ? L’État désigne l’ensemble des institutions qui exercent un pouvoir central de coercition après avoir énoncer l’ensembles des lois et règlements encadrant la vie commune. Le Pouvoir désigne cette capacité indéfinie de décider des interdictions et obligations faites à la communauté sociale sous son autorité.
Mais que faut-il réellement entendre dans ce mot « Pouvoir » ? Il semble qu’il ne puisse être immédiatement rapporté à la puissance collective d’agir, ce qu’il vise à obtenir pourtant. L’obéissance à la loi, en plus d’assurer un état de paix, de sécurité, donne à une société des buts communs, des finalités, des objectifs historiques. On entend par là que la force ainsi mobilisée permet de réaliser de façon ambitieuse et persévérante des buts qu’aucun individu fût-il génial ne saurait atteindre. Les buts choisis étant d’ailleurs moralement indifférents dans l’histoire, il peut s’agir aussi bien de la colonisation d’un continent que de l’éducation d’un peuple dans son intégralité. L’obéissance est l’outil de la cohésion, de l’action collective, de la réussite donc.
Mais comment faire obéir une société faite d’individus différents : culturellement spécifiques, économiquement inégaux, intellectuellement d’une autonomie variable ? Il semble nécessaire d’adhérer à la loi de sa propre initiative et conviction sans quoi les moyens étatiques restent toujours trop courts. Il peut nous contraindre certes, mais quantitativement cela semble un objectif inaccessible.
Croire que la loi est juste est la meilleure motivation, interne, efficace car subjectivement motrice. Croire à la justice ou savoir que la justice fonde la loi, voilà donc le premier pas de la puissance collective, celle qui donnerait au Pouvoir la vie et la force auxquelles il aspire.
Approfondissement Société:État
a) La justice est-elle une habitude ou une exigence ?
Textes de Platon : Gygés, Calliclès.
Semaine du 14 au 18 octobre :
1. La question de la connaissance : Faut-il connaître la justice ? De quel genre de connaissance parle-t-on ? Socrate/Alcibiade ? Faut-il être savant pour être juste ?
Platon donne le pouvoir légitime dans la Cité juste au philosophe-roi, celui qui maîtrise la plus grande connaissance : de la nature des hommes, de la façon de les éduquer et de les organiser, des objectifs à rechercher pour maintenir cette unité de la diversité.
Platon estime que le pouvoir politique doit avoir la même performance technique que les autres occupations humaines, or cette efficacité technique repose sur la connaissance des matières, des milieux et des hommes.
Critique de Platon :
Ce système politique imaginé par Platon est inégalitaire et totalitaire, pour le bien de tous chacun occupe la place que sa nature préconise. Chacun est figé dans une nature qui apparaît bien capricieuse : vouant certains à une vie animale et d’autres à la méditation la plus abstraite. La conséquence politique serait une aliénation définitive à un Pouvoir légitime, fondé sur le double socle indestructible de la nature et de la connaissance.
La réfutation prendrait donc deux directions :
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le savoir est un objectif universel et reste confiné seulement du fait d’une restriction arbitraire. La perfectibilité rousseausiste nous donne une formulation de ce qui fait l’objet d’un constat empirique. Ou bien si l’on préfère, la formule cartésienne qui ouvre le Discours sur la méthode le dit aussi : « Le bon sens est la chose du monde la mieux partagée...», les différences venant du manque d’éducation.
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La nature de ce fait ne peut être naïvement reconnue.
Élargissement de la question à la modernité : on prétend encore que la connaissance justifie l’exercice du Pouvoir.
Quelles connaissances seraient-elles utiles pour gouverner les hommes ?
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Dans la modernité, càd dans un contexte démocratique, la question est encore plus épineuse : la connaissance fait partie des inégalités sociales, elle pourrait avoir pour conséquence donc de freiner l’exercice démocratique de la politique s’il s’avère qu’on ne puisse pas s’en passer.
L’inégalité sociale poserait ainsi un problème à l’égalité politique mais de façon «objective», on pourrait le déplorer mais il faudrait bien faire avec le réel… La connaissance n’est pas égalitairement répartie et ferait obstruction à un exercice partagé de la vie politique, mais comme tant d’autres choses… Il faudrait faire changer les choses poru mettre fin à cette situation sociale, etc… Sans doute tout ce discours s’évanouirait si on montrait que la connaissance n’est pas un préalable à l’action politique.
Qu’il faille être détenteur de connaissances ( la connaissance des matières, des milieux et des hommes) pour mettre en œuvre des décisions est indiscutable, mais avant tout il convient de choisir les fins légitimes, de discriminer les valeurs, de définir les conduites dignes de l’humain. Par exemple, préférer l’égalité à l’inégalité ne relève pas de la détention ou même de la capacité à établir des connaissances.
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La question de l’utilité de la connaissance : L’obéissance est une habitude salutaire
Pascal défend ici une thèse paradoxale, voire choquante pour nous, à propos du pouvoir. Elle répond à la question suivante : les Nobles (les « grands » du pays) , et parmi eux le premier le Roi, ont-ils mérité leurs privilèges et pour le roi son pouvoir ? Il répond par une fable : celle d’un homme qui est pris pour roi alors qu’il ne l’est pas, il a conscience que ce n’est pas sa place, qu’il y a erreur sur la personne ( sa « condition naturelle » n’est pas d’être roi), mais il accepte quand même la fonction. Il a donc une « double pensée » : je ne le mérite pas mais je dois m’en acquitter. Le personnage ne se ment pas à lui-même, il reste lucide, il connaît sa condition humaine, universelle, aucunement prédestinée à cette fonction; mais il sait que cette fonction doit être exercer par quelqu’un, il en accepte la charge. Il trompe cependant le peuple, consciemment, car il pense que c’est nécessaire.
Le roi de la fable est en fait assez comparable aux rois réels, eux non plus n’ont pas mérité leur charge, ils la doivent au hasard et au choix des législateurs qui ont défini les règles de succession de la couronne. Tous les rois ne se transmettent pas le pouvoir selon les mêmes règles. La transmission des biens, des richesses, ou des titres et donc du pouvoir sont aussi aléatoires que les courants marins qui ont fait échouer le personnage sur une côte où on attendait quelqu’un. Les lois sont particulières, relatives au pays (où on les a établies, d’où l’expression « établissement humain »), elles ne sont pas issues de la nature. Par nature, aucun homme n’a le droit de commander aux autres, c’est une idée absurde, on ne peut pas se réclamer d’un prétendu « droit naturel ». Pascal conclue donc qu’il faut avoir la lucidité de reconnaître que naître au bon endroit dans la bonne famille, au regard des richesses et des titres, n’a aucun mérite !
Faut-il en conclure que Pascal est un révolutionnaire qui met en évidence l’injustice d’un tel système ? non, il a bien dit que le roi mis en place par hasard devait s’acquitter de sa fonction. Son pouvoir est légitime, pas au sens où il serait naturel ou mérité par des qualités personnelles, mais du fait d’un hasard qui est devenu une coutume soutenue par une croyance immémoriale qu’il ne faut surtout pas fragiliser. Laissez le peuple croire que le roi est juste et vrai, mais que le roi lui-même surtout ne le croit pas, sans quoi il se comportera comme un être qu’il n’est pas : supérieur, tout-puissant, différent de ses sujets par sa nature.
L’État est garant de l’injustice : l’analyse de Marx
Marx fait un travail à la fois philosophique, économique et historique. Il est matérialiste, il affirme que la vie matérielle est première : à partir des besoins humains et de leur mode de satisfaction, une société se forme avec des interactions particulières entre ses membres. Marx montre que les sociétés se succèdent sous le coup d’une contradiction interne qui les déstabilise et les contraint à se transformer. Nous sommes ainsi passés de la société esclavagiste de l’Antiquité à la société de servage du moyen-âge, qui a mené à la société capitaliste du 19ème s. La contradiction de la société capitaliste est celle qui oppose les Prolétaires (qui vivent de la vente de leur force de travail) et les Capitalistes (propriétaires des moyens de production et de ce fait détenteur des profits du travail). Cette exploitation d’une classe sociale (le groupe défini par sa place dans le système de production) par une autre pose un problème : comment ce système injuste peut-il perdurer ? Comment la classe opprimée par ce système pourtant plus nombreuse se laisse-t-elle faire ainsi ?
La seule solution est qu’elle-même, dans un premier temps, croit à la justice de ce système. Et cela advient du fait que la classe dominante économiquement se donne les moyens politiques de rester dominante. Elle construit une idéologie qui soutient l’ensemble. Ainsi les valeurs de liberté, d’égalité, de propriété privée, ainsi que des valeurs religieuses telles que la charité ou l’espérance, sont justifiées par un discours qui en occulte l’injustice. Le prolétaire est « libre » de signer un contrat ; il peut en toute « égalité de droit » accéder à la propriété privée ; mais qui peut choisir entre l’exploitation et la misère totale ? La conscience des hommes doit renverser ces valeurs et restaurer son sens de la justice, évident, naturel, utile au bien-être de chacun. Pour cela il faut déconstruire l’idéologie de la classe dominante.
Conclusion du II : valeur de la connaissance en politique ? Et fonction de l’État ?
Les démocraties occidentales, libérales, ont voulu croire à l’amélioration de la justice par la loi dans la loi, tirant les leçons de la pensée marxiste. Elles ont cru au progrès de la justice. La connaissance n’est pas inutile, l’État n’est pas qu’un outil pervers, il peut mettre sa force au service de la justice. C’est le pari fait par ces démocraties. Mais alors, il faut veiller et vouloir : veiller aux duperies et vouloir la justice avec persévérance. Quel outil alors pour ce faire ?
III) Quelle est la valeur politique de la désobéissance ?
Il est paradoxal d’évoquer l’utilité, la valeur de la désobéissance pour la vie politique, pour le progrès de la justice. La désobéissance est en effet une conduite négative : en refusant de se comporter conformément à la loi, elle porte atteinte à la vie collective, elle introduit de la division, de la méfiance. On lutte contre la désobéissance qui fragilise notre vie politique. En quel sens lui reconnaître une valeur ?
La désobéissance la plus commune est provoquée par l’égoïsme d’un individu qui préfère son intérêt au bien commun, par exemple il préfère garder son argent que de payer ses impôts pour que puisse exister des services publics.
Pour Freud, la désobéissance montre que l’homme continue à désirer et à agir comme s’il était seul, comme s’ il ne devait tenir compte de personne, en suivant ses impulsions. Désobéir comme rejet de l’autorité, par réaction primitive, irréfléchie. Cela présente un grand danger pour la société qui doit toujours trouver de nouveaux moyens pour atténuer ce reste de « sauvagerie ». La morale et la loi, dans la mesure où elles cherchent à éduquer les hommes, luttent contre cette attitude destructrice, autant que possible. On peut voir dans la désobéissance un comportement individualiste, c’est-à-dire une recherche d’intérêt personnel ou de jouissance pulsionnelle sans souci d’évaluer les conséquences que cela pourra avoir sur la vie commune, sur l’organisation sociale.
Mais Freud évoque aussi une désobéissance réactionnelle à l’injustice, désireuse de réparer les accrocs faits par des décisions politiques au tissu social. Quand la loi se permet l’injustice, la désobéissance lui rappelle que chacun n’est tenu à l’obéissance que dans la mesure où elle est utile, légitime et partagée.
Mais établissons d’abord un fait. Parler d’une loi injuste est-ce toujours exprimer une position particulière, idéologiquement partisane ou légèrement puérile dans son désir de se défaire de l’autorité ? Ou bien est-ce reconnaître un fait social et politique objectif ? Telle était la question posée par Thomas D’Aquin : quels critères objectifs nous permettent-ils de reconnaître une loi injuste ? Il recense 3 sortes de lois injustes : celle qui manifeste un abus de pouvoir, ou qui est faite par quelqu’un qui n’en a pas le droit, ou encore celle qui demande un effort à quelques uns seulement.
Pour faire progresser la justice la désobéissance serait donc nécessaire : elle vient mettre en évidence que la restriction de liberté induite par la loi doit être justifiée ou refusée. Elle donne à discuter dans la société sur la légitimité de la conduite choisie. La désobéissance civile s’appuie sur cette analyse : désobéissons pour rejouer le contrat social et le consentement à la loi sur des valeurs communes.
Ces deux auteurs nous permettent de faire une distinction importante : la désobéissance est de plusieurs natures. Il existe une désobéissance civile c’est-à-dire revendicatrice de liberté et de justice. Il est possible de désobéir pour la bonne cause, pour faire naître une réaction salutaire, une réforme des institutions, un changement de la loi.
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