Concepts politiques:2

Il est difficile de saisir le sens du mot « peuple », confus à souhait. Est-il réductible à « la population » des démocrates ? À la nation des politistes ? À « la masse » des bourgeois effrayés ? À « la populace » de la Révolution française ? Ces derniers termes en effet l’approchent et révèlent sa nature plus idéologique que descriptive. Le peuple désigne ce sur quoi porte la loi ou le pouvoir, ce pour qui ou contre qui on l’exerce, ceux qui pourrait perturber l’ordre établi ou donner au désordre la force d’innover. Il désigne tout cela, selon les moments, sans avoir de limites précises, de qualités identitaires fixes, de stabilité dans le temps de ce fait. Ce qui est sûr est qu’il n’est pas l’État, il entretient avec lui des relations problématiques et qui font l’objet d’interprétations différentes. Il n’est pas l’État qui existe précisément pour ne pas le laisser livré à lui-même.

L’Etat est un ensemble d’institutions centrales qui exercent le pouvoir sur les individus, il décide des règles et des moyens coercitif de les appliquer ; il peut être de différente nature mais jamais il n’est le peuple tout entier. Pour compenser cela, un État démocratique prétend être fondé et finalisé par la volonté du peuple : il tient sa légitimité de la volonté du peuple d’être représenté pour former une unité active.

Cependant, l’État quel qu’il soit ravit au peuple la faculté de se commander lui-même. D’où les propositions d’abolition dans l’histoire de la pensée et de l’action politique pour restaurer la liberté du peuple. Anarchisme et Marxisme ont donné la théorie nécessaire à la Révolution, c’est-à-dire la rupture radicale avec un système qui ne serait pas amendable tant son principe est vicié : décider à la place d’un autre, pour un autre.

Cependant une voie réformiste s’est aussi développée : voie choisie par la démocratie moderne qui prétend concilier la liberté et l’obéissance à un État juste.

Synthèse :

On prive les individus d’une part de liberté, en les soumettant aux lois de leur pays. Comment être sûr que cette privation soit légitime ? On prétend le faire au nom de la justice.

La justice est ce qui justifie, fonde, rend légitime, donne assise à quelque chose (un comportement, une institution, une loi ). Elle n’est pas définie d’abord par son contenu mais par sa fonction.

La loi est-elle la réalisation juridique d’une valeur morale, qui lui préexiste ? Mais alors sous quelle forme ? Ou bien exprime-t-elle un rapport de force qui cherche à se faire oublier ? A force habitude, les individus eux-mêmes auraient perdu de vue cette contrainte initiale peu à peu intériorisée..et croiraient à sa justice.

La loi, voix du politique, est-elle le lieu de l’entente des hommes pluriels autour d’une valeur ou le moyen de proférer un ordre pour le Maître et le dissimuler derrière une apparence de justice ?

  1. Quelle serait cettte valeur morale initiale ? Si elle n’est pas l’effet de la convention , elle serait celle de la nature, innée, universelle, ancrée au cœur de l’homme. « Conscience, conscience, instinct divin, éternelle et céleste voix » s’écrie Rousseau, hésitant entre nature et transcendance, tant il est difficile de penser une naturalité de la justice. La nature, en effet, semble soucieuse de se préserver plus que de se limiter ou se mesurer contre son intérêt. Le droit naturel, explique Spinoza, est celui de faire ce que l’on désire et est capable de faire effectivement, à l’image des animaux. Naturellement je fais ce que je peux faire et dois faire, les trois modalités se confondent. Autrement dit, la nature semble davantage nous faire voir ce qu’est l’innocence sous les traits de l’immoralité, une apparence trompeuse car dénuée d’intentions malveillantes. Les Droits de l’homme pourtant se réclament de la nature, il s’agit donc d’une certaine idée de la nature qui prévaut : celle dénuée de rapports de force, de cruauté, d’indifférence et de solitude.

  2. Il nous faut donc assumer le fait que la justice ne précède pas la loi sous l’espèce de la morale naturelle, oxymore dont nous avons rendu compte, mais que la loi s’appuie sur une justice qu’elle contribue à créer et à diffuser. Cela cadre mieux avec le fait qu’elle change, qu’elle a une histoire.On prétend assez spontanément qu’il y a eu des progrès en matière de justice, est-ce une idée objective? Si c’est le cas, quel est le moteur de ce progrès ? Qu’est-ce qui pousserait les hommes à être de plus en plus justes ?Cette démarche de fondation s’alimente à plusieurs sources qui peuvent entrer en concurrence : Dieu, la Nature, la Tradition, l’Individu. La quête de la justice est donc l’origine de nombreux conflits.