Pourquoi se soucier de l’origine du langage ?

On nourrit l’illusion que la découverte de l’origine serait un grand événement mais pourquoi exactement ? Serait-ce pour confirmer l’hypothèse matérialiste qui fait de l’homme un animal ordinaire et du langage une compétence banale ? Mais comment concilier cela avec l’usage que nous lui connaissons : strictement spirituel, autonome par rapport à la vie sensible ? Serait-ce au contraire pour appuyer la différence radicale avec le monde de la vie organique, la création ex nihilo d’un monde de concepts ? Mais comment comprendre que les mots aient une signification pour nous, êtres sensibles ?

Linguistes et anthropologues se sont attelés à ce problème de l’origine. B. Victorri ( https://youtu.be/gmC6x7jfpBg?si=ddhaA9JVWdONsgBC ) développe une analyse intéressante ; il écarte l’origine purement pratique du langage : pour agir il n’est pas si utile qu’on le dit ( « Essayez donc d’apprendre à quelqu’un à faire un nœud au téléphone ! »), la description des actes techniques est laborieuse, le compagnonnage qui procure imitation et rectification est bien plus efficace. En revanche, la langue est pourvoyeuse de récits, elle permet l’actualisation de différentes temporalités, ce qui permet de construire une histoire du groupe, d’en retracer le devenir pour en réaffirmer l’identité quand cela s’avère nécessaire.

À cette analyse on peut ajouter la célèbre Leçon d’écriture racontée par Lévi-Strauss dans Tristes Tropiques : le chef des Nambikwara pris conscience de la valeur de l’écriture pour renforcer son pouvoir sur sa tribu : « Et cela, en vue d’une fin sociologique plutôt qu’intellectuelle. Il ne s’agissait pas de connaître, de retenir ou de comprendre, mais d’accroître le prestige et l’autorité d’un individu – ou d’une fonction – aux dépens d’autrui ». Le chef était ainsi l’égal du Blanc qui avait un pouvoir inconnu des autres.

Le problème reste entier : la quête de l’origine peut être vue comme objet d’une curiosité scientifique, et sur ce point il convient d’être pessimiste quant à son succès. Elle peut être aussi comprise comme une quête de légitimité : parmi toutes les fonctions qu’assume le langage, laquelle est la plus haute, la plus humaine, la plus légitime ? Cette hiérarchie des fonctions du langage reproduirait d’autres hiérarchies.