- La quête du bonheur est-elle morale ?
Problématiques sur le bonheur comme finalité morale :
Conduite morale : maîtrise, valeur, souci de soi et d’autrui mais bonheur comme souci égoïste de soi, au dépend des autres ?
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La question du bonheur se pose pour un être humain qui a conscience de vivre sans raison, en toute absurdité. Le bonheur donne un sens et une direction à l’existence individuelle. D’autres finalités entrent en concurrence : données par la religion, le travail, la culture en général.
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Cela suppose la liberté de le faire : absence d’un déterminisme ou de déterminations sociales qui prédestineraient la vie de chacun. Ainsi une condition politique est nécessaire pour permettre l’éclosion de cette question : elle apparaît quand chaque vie est considérée également digne.
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La question du bonheur peut s’inscrire nouvellement dans un schéma culturel démocratique, Tocqueville affirme cela dans son livre De la démocratie.
Dans un discours prononcé devant la Convention, le 10 mai 1793, Robespierre déclarait : « L’homme est né pour le bonheur et la liberté et partout il est esclave et malheureux. » L’article 1 de la Constitution de 1793 l’affirme : « Le but de la société est le bonheur commun. » Et chacun a en tête la formule lancée par Saint-Just à la même tribune, un an plus tard, le 3 mars 1794 : « le bonheur est une idée neuve en Europe. » La Révolution s’est faite pour le bonheur des peuples.
Questions posées :
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Comment être heureux ? La nécessité d’une sagesse pour éviter les impasses.
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Le bonheur est-il un état d’esprit ? S’éduquer soi-même pour faire coïncider nos désirs avec « l’ordre du monde », de façon à être content. Problème politique : justification des inégalités.
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Est-il une situation objective ? Notre condition est sensible, vulnérable, limitée, nous avons besoin d’éléments concrets pour déployer notre existence.
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Le bonheur est-il durable ? La condition humaine est temporelle, l’existence change de sens et d’horizons selon les ages de la vie ; dans ce cas la durée ne peut être que limitée. La question de la durée nous amène à la question de la nature du bonheur.
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Le bonheur comme aspiration morale de l’homme : l’eudémonisme.
Le bonheur est un exemple de finalité morale : il donne un sens à la vie, lui donne une direction. Il se présente comme une finalité sensée : par lui s’accomplit l’individu par l’intermédiaire de la satisfaction de ses désirs.
Nous avons dit depuis le début de cette réflexion morale que le but de notre action est de prendre la main sur notre existence, d’exprimer notre être et de le renforcer dans la direction qui nous semble la plus appropriée et intéressante, donc lui donner un sens et une valeur. Cette ambition on la nomme plus spontanément souvent : vouloir être heureux, par quoi nous aurions la conviction d’avoir « réussi notre vie », d’avoir accompli un programme signifiant et apaisant. Le bonheur s’impose comme le but le plus recherché par les êtres humains, l’objectif majoritairement écrasant des existences humaines individuelles. Cette « évidence empirique » nous posera beaucoup de problèmes mais pour le moment essayons de voir seulement ce que contient ce concept.
Je disais réussite, accomplissement, réalisation, expression de soi…ce sont des éléments de cette définition recherchée. Le bonheur serait un état d’esprit durable du fait de la satisfaction de nos désirs principaux. C’est une idée générale qui peut nous mettre tous d’accord, même si cette définition contient des questions immédiatement à travailler : état d’esprit ou réalité vécue ? Durable mais combien de temps? nos désirs, comment être sûr que ce sont les nôtres ? Quels désirs pourront être qualifiés de « principaux » ? Il faudra répondre à tout cela. Pour le moment retenons que le bonheur est un concept assez naturel : il prend acte de la quête de satisfaction des individus qui voudraient trouver les bons objets ou bonnes activités qui donnent sens à leur vie.
En définissant le bonheur, nous tombons sur le concept de vertu défini par les Anciens. Ce concept contient l’idée que l’homme est destiné à quelque chose, il est en puissance quelque chose qu’il faut réaliser pour s’accomplir. La vertu est la force de devenir ce qui est le plus humain, ce que chacun porte en soi d’humain.
A) Quel contenu donner au bonheur ?
Le désir est une tension nourrie d’un manque, réel ou subjectif, qui retarde l’accomplissement d’une individualité particulière. C’est ainsi qu’on le vit, qu’on le ressent.
– Être comblé ou être accompli ? Bonheur dans la consommation ou dans l’activité ?
– Simplicité, évidence du désir ou obscurité ?
Désir comme manque mais causé par quoi ? Condition humaine universelle (finitude, impuissance, relation, imagination) ou bien genèse artificielle ?
Désir comme force créatrice, productive qui accroit l’existence et donne vie à la liberté.
Comment trier parmi nos désirs ? Lesquels ne nous décevrons pas ?Lesquels ne nous mènerons pas à une impasse ? 2 critères sont mis en avant : le plaisir et l’expérience.
1) Les désirs prometteurs de plaisir : hédonisme ou épicurisme ?
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Épicure Lettre à Ménécée ([-342] – -270)
Indépendance, absence d’aliénation.
Être heureux quelles que soient les circonstances extérieures, la malchance les rapports de force.
Satisfaction, tranquillité, absence de trouble. Être en accord avec le réel, dans la mesure où il m’est accessible.
Action à mener en conséquence : rectifier ses pensées afin de ne pas subir l’imagination. La nature comme modèle d’adéquation parfaite entre le désir et la satisfaction.
Exemples : la simplicité et la frugalité dans la nourriture.
Rejet d’une thèse qui ferait du plaisir déréglé un but : une quête de sensations fortes sans cesse réactualisées. Le plaisir est apaisement et non intensité.
Recours à une connaissance empirique générale : la vie de plaisirs répétitifs est un tourbillon sans fin.
Le bonheur repose sur une sagesse : connaissance et mesure pour atteindre le plus efficacement le but recherché : l’ataraxie.
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La grande provocation de Calliclès :
Calliclès est un personnage de Platon, qui donne la réplique à Socrate dans le Gorgias, il n’exprime pas la pensée de ces derniers mais au contraire la thèse à combattre du fait de son incohérence et de son inhumanité. Comment cela est-il établi ?
Calliclès prétend être cohérent et lucide quand il affirme que le plaisir est la valeur unique que doit poursuivre notre action, que toute entrave à cette fin est illégitime car contraire à la nature qui pousserait d’elle-même en ce sens, sans retenue. Calliclès se met en effet sous l’autorité de la Nature, càd de la spontanéité et la rectitude d’un comportement qui s’imposerait à nous sans le formatage culturel et moral que nous subissons dés notre plus jeune âge. Le plaisir s’impose naturellement comme ce qui est bon pour nous, tout discours contestant cela est contre-nature, frustrant en vue d’un gain hypothétique, douteux sur ses intentions. Calliclès est assez représentatif de l’hédonisme, qui prône le plaisir, actif, actuel, comme la seule fin de l’action qui se justifie elle-même. Cela va de pair avec une conduite indifférente à la cruauté, l’égoïsme, le bien-être d’autrui, seul compte l’effectivité du plaisir éprouvé individuellement.
On voit que cette attiutde est tentée par l’abolition des limites et des scrupules que la vie sociale nous a imposés mais qui semble nécessaires à la cohabitation. Elle dévalorise aussi les nuances et exigences qui hiérarchisent les plaisirs, les réduisant à leur force et effectivité. Elle met à distance donc les valeurs, les limites, les hiérarchies et les sophistications de la culture.
Le plaisir dans le cadre de la culture : JS MILL
JS MILL va nous donner une autre représentation de la place du plaisir comme valeur constitutive du bonheur. En tant qu’utilitariste, il affirme qu’il convient de rechercher le bonheur du plus grand nombre, et individuellement il est légitime d’aspirer à être heureux. Cet objectif ne peut être indifférent à la quête du plaisir, comme signe d’une rencontre adéquate, harmonieuse, réussie avec un élément du monde matériel qui résonne avec notre sensibilité et crée un accord parfait.
Mais le choix de nos activités ne revient pas au plaisir qui confirme mais ne discrimine pas. L’expérience humaine du plaisir nous met face à de nombreuses réussites, certaines rapides et satisfaisantes sans préparation, d’autres patientes, constructives, réitérant les essais jusqu’à parvenir au but. Certaines sont le fait d’un animal sensible qui se sert de ses sens, de sa peau, de son appétit, de ses besoins pour prendre des objets qui les comblent à portée de main sans transformation et sans délai. Tels sont les plaisir de la consommation ou de la relation sensible. Certains sont le fait d’un être culturel et social qui invente un parcours prenant en compte les facultés élevées de l’homme, son intelligence, son imagination, sa raison, pour en chercher les plaisirs propres, pour explorer la richesse des satisfactions subtiles et délicates, ou celles qui vont demander de l’ingéniosité, de la persévérance, de la force de caractère, de l’entraide pour daigner apparaître et révéler leur incontestable valeur. Tels sont les plaisirs de la lecture, de la création artistique, de la connaissance.
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