La traduction des langues : une impossibilité révélatrice de l’impuissance de l’homme à saisir le monde par son langage.

Nous ne cessons de traduire en nous plaignant de l’échec annoncé de cet essai que tout un chacun sait être certain, et pourtant nous traduisons…Ce que nous cherchons nous échappe (l’universel derrière le divers) mais nous trouvons autre chose : la prudence que l’instabilité d’un monde diffracté en autant de signes que de langues exige de nous. La traduction nous enseigne-t-elle la sagesse de la langue ? Le langage dans sa limitation est-il une source de prudence ?

Le langage humain se déploie sous la forme d’une multitude de langues, des milliers, étrangères les unes aux autres, même quand on les dit proches. Les sons et les accentuations des mots articulés, les éléments et les structures de la phrase, la conjugaison et les temps des verbes, sont autant de variables dont le composition forment la langue. La diversité des langues n’est pas une diversité superficielle qui habillerait de sons différents des langues par ailleurs identiques dans ses découpes (mots) et compositions(phrases). La diversité des langues est une diversité de présentation du monde, la question se pose de savoir si elle serait la conséquence d’une diversité d’interprétation du monde ? Pour répondre à ces questions l’expérience de la traduction est essentielle.

Nous ne cessons de traduire en nous plaignant de la difficulté de le faire, notre persévérance met en lumière notre désir de vaincre ces barrières linguistiques mises à la compréhension des œuvres de l’esprit. Nous le faisons en croyant qu’il sera possible de rendre le texte impénétrable du début en paroles familières. Nous commençons par croire que c’est un simple transport : nous cherchons les analogies, les expériences collectives parallèles et sédimentées dans les expressions idiomatiques, les partis-pris et les choix métaphysiques propres à chaque peuple. Mais nous sommes contraints rapidement de voir l’insuffisance de cette démarche et d’admettre l’échec annoncé de cet essai que tout un chacun savait être empiriquement certain. La langue originale, au cinéma ou en littérature, indétrônable, requiert notre multi-linguisme, un point c’est tout.

De cet échec, nous pouvons cependant tirer des leçons. Traduire exige un détour par le réel lui-même et la façon dont on l’aborde. Que veut dire l’auteur ? Que signifie sa métaphore ? Comment rendre cela dans ma langue ?, se demande le traducteur. Pour répondre à ses questions, il va les transformer en : comment la langue originale traduit-elle le réel ? Quelle image produit-elle pour donner à éprouver intelligemment la présence brute ? Le traducteur se fait donc philosophe et cherche à comprendre le réel, il ne trouvera encore et toujours que la langue et le réel sous une forme particulière. Et pourtant nous traduisons… comme si nous avions toujours l’espoir dans cet effort de parvenir à toucher des pensées universelles, à force de creuser en deça des formes langagières particulières. A la limite de nos efforts nous trouverons peut-être cette valeur unique que serait une pensée universelle.

En attendant, une leçon de prudence nous est offerte : le dogmatisme est à proscrire, rien de stable sous nos pieds, rien de sûr à se mettre sous la dent, mais des figures multiples pour un réel encore insaisissable. Il nous faut éprouver l’instabilité du monde dans nos langues pour apprendre la prudence d’affirmer sans contraindre, de juger sans fermer la possibilité de réfuter.

Cette prudence doit s’appliquer à tous les discours, par essence langagiers, mais doit s’intensifier quand le discours est d’emblée métaphorique, car l’image est la traduction d’une pensée logique et cependant elle-même interprétative. Il en va ainsi des discours religieux ou poétique.